Novembre 2023
Alors que Monsieur le Ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, appelle à l’université d’été de la CSMF : « au renforcement du rôle du médecin traitant et à la structuration de la médecine de spécialité », je m’interroge sur la discontinuité entre les paroles et les faits.
Avant de reprocher à nos jeunes futurs confrères de choisir chirurgie esthétique plutôt que psychiatrie, il eût été utile de se demander l'origine d'un tel choix. Alors que le pays manque cruellement de praticiens, pourquoi, tant de jeunes confrères tardent ou refusent de s'installer, que ce soit à l’hôpital, en clinique ou en libéral ?
La médecine ne ferait plus rêver ?
Bien sûr, il faut rechercher les causes. Commençons par la rémunération, bloquée à 25 € depuis cinq ans, alors même que certains actes techniques n’ont pas été réévalués depuis 30 ans. La rémunération de la médecine française est une des plus basses d’Europe, malgré des contraintes parmi les plus lourdes allant de la permanence des soins, aux multiples contrôles de la Sécurité sociale, en passant par le financement par le médecin de son matériel de télétransmission ou la rédaction d’un nombre incalculable de documents administratifs.
Qui aurait imaginé, il y a quarante ans, que l’on abandonnerait des études de médecine en deuxième ou troisième année pour se réorienter ? Personne ! Et pourtant, aujourd’hui cela existe notamment à cause des études sans fin et que l’on rallonge sans cesse, où nos jeunes confrères voient l’entrée dans la vie active reculer sans réelle justification professionnelle. L’inscription ordinale finira-t-elle par coïncider avec la retraite ? Une fois les médecins installés, les frais explosent sur tous les postes : secrétariat, matériel, assurances de tous types, frais de fonctionnement… et même à la médecine du travail où la consultation de nos secrétaires est facturée plus cher qu’une consultation d'un spécialiste hors convention.
Les contraintes administratives se multiplient, les doléances irréalisables des patients nourris à la société de l’instantané et du service immédiat nous écrasent, encouragés par les politiques qui nous en demandent de plus en plus pour de moins en moins. Là-dessus, la Sécurité sociale exige des comptes et nous sanctionne pour des arrêts de travail, fruit de l’état d’une société gavée au quoiqu’il en coûte.
Des groupes financiers, bien souvent étrangers, parfois extra-européens, pour lesquels le bien-être de la population n’est pas forcément une variable de réflexion, arrachent au mode libéral des pans entiers d'activité, en particulier dans les domaines les plus lucratifs comme la biologie, la radiologie, l’ophtalmologie, contraignant les futurs jeunes spécialistes à devenir leurs salariés. On constate d’ailleurs ce phénomène « d’ubérisation » dans toutes les professions libérales, sans que l’on sache vraiment si l’État laisse faire ou s‘il encourage. Ce phénomène appauvrit nos professions, précarise nos confères. Il constitue un moyen légal de récupération des capitaux français qui seraient sans doute mieux investis par des libéraux. À l’échelle de nos caisses de retraites, si le phénomène continue sur sa lancée, il risque de mettre en péril notre financement.
Je dis solennellement que les professions libérales sont indispensables au bon fonctionnement d’une société, ils sont une interface, un arbitre légitime entre un État centralisateur jacobin, et une population qui ne peut pas se protéger seule des difficultés de la gestion de son quotidien.
Les professionnels libéraux ne produisent aucun bien directement, mais par leur présence, leur travail, leur disponibilité et leurs compétences au quotidien, ils assurent le bien-être et la protection des populations qui, elles-mêmes contribuent au bon fonctionnement du pays.
Pourtant notre profession est depuis toujours victime d’injustices. Nous sommes considérés comme des nantis alors que nous contribuons plus que tous autres au financement social et à la redistribution. Rappelons ici la compensation nationale, quatre fois plus élevée pour un libéral que pour un salarié de même niveau de revenu. Rappelons également la CSG où, depuis 32 ans, les libéraux paient plus que les salariés de même revenu pour une raison d’assiette sociale.
Quand le gouvernement dit vouloir effacer cette injustice, au travers des discussions autour du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale de 2024, c’est au détriment d’un pan entier de notre profession. Non seulement le projet de réforme de la CSG ne corrigerait pas totalement l’injustice pour les médecins de secteur I, mais l’aggraverait pour la quasi-totalité des médecins en secteur II. Tout cela se passe dans un silence assourdissant d'un certain syndicat de médecins pourtant sollicité sur le sujet.
Il n’est plus temps de tergiverser avec des mesures en demi-teinte, des augmentations ridicules de nos actes, un encadrement coercitif de notre activité, etc., qui engendrent la fuite des forces vives vers d’autres horizons géographiques ou professionnels.
Le Président Chirac a dit « la maison brûle et on regarde ailleurs ». Cela ne s’applique pas qu’au climat.
Avec mes confraternelles amitiés.
Thierry Lardenois
Président de la CARMF
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