Paris, juin 2022
Chère consœur, cher confrère,
Il paraît que le système de santé français va mal, et je dois dire qu’avec mon vécu de médecin généraliste de campagne, je ne peux que le confirmer.
Il y a trente ans, c’est à dire au siècle dernier, une radio ou un rendez vous chez un de nos confrères spécialistes était l’affaire de quelques jours, parfois de quelques heures pour les urgences ressenties, et nul n’était besoin d’intervenir nous-même auprès d’un secrétariat dont la fonction principale est de faire barrage pour protéger l’agenda de nos confrères débordés et à l’aube d’un burnout.
Une suspicion d’appendicite à 16 heures était vue en soirée et opérée le lendemain si besoin, quand aujourd’hui elle passera 24 heures aux « urgences », nécessitera une échographie, un scanner, l’inévitable prise de sang, sera vue par trois médecins différents pour terminer, enfin, par une consultation du chirurgien.
C’est le progrès paraît-il, c’est pour la sécurité des patients et les économies de santé, pour ne pas opérer pour rien… Entre la disponibilité et le professionnalisme d’un « vieux » chirurgien et le diagnostic high-tech aidé par l’IA (intelligence artificielle) complété par le schéma décisionnel validé par la HAS (Haute autorité de Santé) personnellement, je sais où mon cœur balance.
Si on veut remplacer l’humain plein de savoir et d’empathie par une externalisation des tâches et des moyens de diagnostic sophistiqués, pardonnez-moi, mais il y a encore du chemin.
À l’heure où on nous parle de réforme, c’est pour nous abreuver d’acronymes, IA, CPTS, ARS, HAS, ANSM, AFSSAPS, etc. : toute une flopée d’institutions et d’organismes destinés à nous expliquer comment soigner les patients et organiser les soins, ce qui pourtant est la chose la plus simple du monde : un professionnel correctement formé qui examine attentivement un patient.
Le meilleur système de soins passe par un humain qui soigne un autre humain, simple, basique et en fin de compte incontournable.
Rappelons donc simplement que le système de santé français fonctionne sur la liberté du patient (ce qu’il en reste) et qu’il peut accéder selon son choix à un médecin et / ou un établissement de soins (également ce qu’il en reste).
Le tout est pris en charge par l’Assurance Maladie, sans doute la plus grande avancée sociale d’après-guerre. Grâce à cette institution (excédentaire en Alsace Moselle où elle est gérée paritairement) les prestations sont remboursables :
À ma connaissance, il n’existe nulle part au monde de meilleur système de prise en charge, par ailleurs égalitaire et efficace.
Nous aurions donc pu penser qu’avec un tel système hérité des années cinquante, nous étions en sécurité. Eh bien non ! Tout est devenu terriblement bureaucratique et chaque étage donne son point de vue et génère un règlement. Le millefeuille administratif commence au Ministère, continue avec les ARS, puis les organisations locales (y compris parfois les instances politique locales), il s’en suit évidement la CNAM pour le financement, les Conseils de l’Ordre pour le contrôle et enfin les syndicats.
Au niveau de l’État, tout est administré, tout est géré, et je laisse à votre libre appréciation de savoir si cela fonctionne. Les hôpitaux manquent de moyens, qui, en tout cas, ne sont pas alloués au bon endroit. Ils manquent de personnel, et quand il y en a, celui-ci est désabusé. Certaines cliniques sont gérées selon une logique financière parfois très éloignée de la logique médicale, les campagnes se vident de médecins libéraux, épuisés et démotivés par des horaires à rallonge, des patients exigeants et une rémunération bloquée depuis si longtemps que cela ne les révolte même plus, ils préfèrent partir pour du salariat ou en retraite.
Souvenons-nous quand-même de la loi santé territoire (HPST) du 21 juillet 2009 et de ses 135 articles censés améliorer la santé des français et l’accès aux soins, treize ans plus tard, c’est pire que jamais.
Souvenons-nous de ces ministres affolés du manque de médecins et qui semblent ne pas savoir que c’est au Ministère de la Santé que l’effectif des nouveaux médecins se décide.
Souvenons-nous de ces déclarations de fatalité devant l’effondrement de notre système de santé, alors que, curieusement, la CARMF qui anticipe depuis vingt ans l’évolution démographique dans la santé, a réussi à créer des réserves pour assumer ce choc démographique. Elle a su faire face à la crise majeure de la Covid pour aider tous les confrères en peine, et elle prépare avec sérénité l’après choc démographique pour laisser aux jeunes confrères les moyens de la gestion de leur avenir, et pourquoi pas de la dépendance. Tout cela, la CARMF l’a fait seule, sans un centime d’argent public et sans cabinet de conseil, c’est donc possible.
Il aura fallu pour cela une mobilisation de la CARMF avec une vision à long terme et un travail de chaque instant.
Le problème de la santé en France est simple, il faut davantage de temps médical disponible. Or ce ne sont ni la télémédecine, ni toutes ces organisations administratives qui seront en mesure d’apporter des solutions définitives : un médecin toulousain ou bordelais qui téléconsulte un de nos compatriotes dans la Creuse ou ailleurs ne peut le soigner que s’il a du temps à lui consacrer. Pour faire de la médecine, il faut des médecins. Bonne nouvelle, la CARMF constate une nette augmentation des inscriptions, due notamment à l’affiliation au régime simplifié des étudiants non thésés et des médecins retraités effectuant des remplacements.
Donc nous n’en manquons pas tant que cela (voir graphique ci-dessous).
Il faut maintenant qu’ils soient au bon endroit et que leur temps médical disponible, soit suffisant.
Nous devons également tenir compte des différents modes d’exercice. Si certains souhaitent travailler différemment, je pense en l’occurrence aux exercices à temps partiel, et c’est leur droit et leur choix d’y recourir, il nous faut encore plus de médecins, surtout pas davantage de structures ou de tâches administratives. Ce n’est pas juste en externalisant les tâches (vaccins, etc.) que nous libèrerons de ce temps médical. Et le dossier médical partagé, s’il n’est pas consciencieusement tenu à jour sera un gruyère inutilisable par toutes les IA de la terre. Une IA répondra à une question mais ne la posera pas.
La médecine se fait avec des médecins. Des médecins heureux, respectés et dont l’action est reconnue et dignement valorisée, seule façon de faire de la bonne médecine.
Avec mes confraternelles amitiés.
Docteur Thierry LARDENOIS
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